Le conflit du Sahara marocain est l’un des plus anciens et complexes différends régionaux en Afrique. Historiquement, à la suite du retrait de l’Espagne de la région en 1975, un conflit politique, diplomatique et militaire a éclaté entre le Maroc et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, autour de la souveraineté sur ce territoire riche de sa culture marocaine, de ses racines hassanies et de ses ressources naturelles sahariennes. Face à l’impasse du processus onusien de règlement du conflit pendant plusieurs décennies, le Maroc a proposé en 2007 une initiative d’autonomie comme solution politique réaliste, en conformité avec la légalité internationale, redéfinissant ainsi le discours diplomatique autour de l’unité nationale du Royaume.
Dans cette analyse, nous reviendrons sur les évolutions du conflit d’un point de vue politique et juridique, en abordant la vision royale de l’autonomie et ses implications dans le contexte des positions des puissances internationales, tout en examinant les répercussions et les défis posés par ce conflit artificiel sur la sécurité régionale dans la région du Maghreb et en Afrique.
1. Contexte historique et juridique du conflit artificiel
Le conflit du Sahara a émergé dans le contexte du processus de décolonisation de la région sud du Royaume du Maroc en 1975. Cette année-là, la Cour internationale de justice a rendu un avis consultatif soulignant l’existence de liens juridiques et historiques entre les tribus sahraouies et le trône marocain. Cependant, cet avis n’a pas reconnu explicitement la souveraineté du Maroc sur le territoire, donnant lieu à deux lectures divergentes : l’une en faveur du Maroc dans la poursuite de son intégrité territoriale, l’autre soutenant le droit à l’autodétermination défendu par le Front Polisario.
Suite à l’organisation par le Maroc de la « Marche verte » en novembre 1975, l’Espagne s’est retirée du Sahara, laissant le Maroc et la Mauritanie gérer ensemble le territoire. Peu après, la Mauritanie s’est retirée, permettant au Front Polisario de contrôler une partie de la région et de proclamer la « République arabe sahraouie démocratique ». Un conflit armé s’en est suivi jusqu’en 1991, année de la signature d’un cessez-le-feu sous l’égide des Nations unies, avec la création de la MINURSO, chargée de surveiller la situation humanitaire et sécuritaire dans la zone contestée. Néanmoins, le Front Polisario continue de refuser l’application des résolutions de l’ONU.
2. L’initiative marocaine d’autonomie
Face au blocage diplomatique, le Maroc a présenté en avril 2007 une initiative d’autonomie à l’ONU, visant une solution politique durable permettant aux populations sahraouies de gérer leurs affaires internes sous souveraineté marocaine. Cette proposition accorde à la région des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires élargis, tout en maintenant les attributs de souveraineté nationale dans les domaines de la défense, des affaires étrangères et de la monnaie.
Du point de vue marocain, cette initiative est un compromis qui respecte les aspirations des populations locales sans compromettre l’unité nationale. Elle a été saluée par de nombreuses puissances internationales, telles que la France, les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne, qui la considèrent comme « sérieuse, crédible et réaliste ». Plusieurs pays africains et arabes ont également exprimé leur soutien en ouvrant des consulats à Laâyoune et Dakhla, renforçant implicitement la souveraineté du Maroc sur la région.
3. Positions internationales et régionales
Ces dernières années ont vu un changement notable des positions internationales vis-à-vis du conflit. En décembre 2020, les États-Unis, sous l’administration Trump, ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara en contrepartie de la normalisation des relations avec Israël. Bien que l’administration Biden n’ait pas annulé cette décision, elle a adopté un ton plus réservé.
L’Algérie continue de soutenir le Front Polisario, tout en affirmant qu’il s’agit d’une affaire de « décolonisation » dont elle ne serait pas partie prenante, malgré son implication avérée. Cette posture a contribué à la rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie en 2021.
Au niveau régional, les pays du Golfe et l’Égypte soutiennent la position marocaine, tandis que des pays comme l’Afrique du Sud restent favorables au Polisario en raison de leurs positions historiques anticolonialistes et de leurs liens stratégiques avec l’Algérie. Pour sa part, l’ONU continue de gérer le conflit dans le cadre du processus politique mené par l’envoyé personnel du Secrétaire général, sans imposer de solution prédéterminée. Cependant, toutes les tentatives de négociation ont échoué jusqu’à présent, en raison du refus de l’Algérie de participer en tant que partie prenante au processus, comme le stipulent les résolutions du Conseil de sécurité.
4. Conséquences du conflit sur la sécurité régionale et l’intégration maghrébine
Le conflit du Sahara constitue un obstacle majeur à l’intégration régionale. L’Union du Maghreb arabe, créée en 1989, reste paralysée principalement en raison des tensions entre le Maroc et l’Algérie. Le conflit engendre également un gaspillage considérable de ressources qui pourraient être mobilisées pour le développement, la lutte contre le terrorisme, l’immigration irrégulière ou encore la résilience face au changement climatique.
La zone sahélo-saharienne est aujourd’hui exposée à des menaces croissantes, et la stabilité des provinces du sud du Maroc est devenue stratégique. Des rapports font état de liens entre certains membres du Polisario et des groupes armés opérant au Mali et au Niger. Des études américaines ont même qualifié le Front Polisario d’organisation terroriste active dans la région, posant un risque croissant pour la stabilité régionale.
5. Perspectives de règlement et avenir de l’autonomie
Face à l’impasse onusienne et à l’adhésion croissante à l’initiative d’autonomie, les perspectives de règlement passent par une approche réaliste et consensuelle. Le succès de ce scénario dépend de plusieurs facteurs :
1. La souplesse des acteurs, notamment l’Algérie, vis-à-vis de l’autonomie comme alternative viable à l’autodétermination.
2. La pression internationale pour inciter les parties à négocier de bonne foi.
3. L’implication effective des populations locales dans les institutions régionales et le développement.
4. Le renforcement du développement économique dans les provinces du Sud, par des investissements dans les infrastructures, les énergies renouvelables, les ports (notamment Dakhla Atlantique) et l’attraction d’investissements étrangers.
Il convient de souligner que l’autonomie, telle que formulée par le Maroc, dépasse le cadre technique pour proposer un projet politique, culturel et économique de sortie de crise, porteur d’espoir pour la réconciliation et l’intégration maghrébine.
Conclusion
L’initiative marocaine d’autonomie représente un tournant dans le traitement du conflit du Sahara, remplaçant la logique binaire « indépendance ou rattachement » par une troisième voie, réaliste et crédible. Malgré les obstacles politiques et régionaux, les dynamiques géopolitiques actuelles favorisent une solution consensuelle, soutenue par plusieurs grandes puissances.
En définitive, le règlement de ce conflit artificiel dépasse la question territoriale. Il engage l’avenir de la stabilité au Maghreb et la capacité des peuples de la région à construire un espace intégré, résilient et solidaire face aux défis du XXIe siècle.
Jamal Ait Lâadam
Docteur en relations internationales et droit international – Université de Changchun, Chine
Institut des études stratégiques et des relations internationales