Les chiffres et les avis divergent sur les opérations d’importation de bovins et d’ovins, bénéficiant d’un soutien financier massif dont seule une minorité d’importateurs a profité. Tandis que cette affaire a été exploitée pour régler des comptes entre les composantes de la majorité en vue des prochaines élections, l’opposition a, elle, levé le voile sur les bénéficiaires et l’ampleur des aides octroyées, qui, paradoxalement, n’ont pas eu d’impact sur le prix de la viande.
Fouzi Lekjaa, ministre chargé du Budget dans le gouvernement d’Aziz Akhannouch, a reconnu que l’aide accordée à l’importation de bovins et d’ovins était une erreur, car elle n’a pas produit les résultats escomptés. De son côté, Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau ainsi que secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, a révélé que 18 grands importateurs ont bénéficié de 130 milliards de centimes. De même, Ryad Mezzour, ministre istiqlalien, a affirmé que 18 grands acteurs monopolisaient le marché de la viande et en fixaient les prix. Pour sa part, Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants et cadre du Rassemblement national des indépendants (RNI), a déclaré que 100 importateurs avaient obtenu 30 milliards de centimes.
Les contradictions au sein de la majorité ne sont pas en elles-mêmes l’aspect le plus important. Ce qui retient l’attention, c’est que ces derniers jours, la majorité semble vouloir se distancer du gouvernement, comme si elle fuyait une maladie contagieuse. Chaque parti cherche à sauver sa propre image. Une stratégie déjà adoptée par l’actuelle majorité lors de la législature précédente, où le RNI avait pris ses distances avec son allié, le Parti de la justice et du développement (PJD), lui permettant ainsi d’échapper à l’échec et de décrocher la première place électorale.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la position de l’opposition. Au-delà de son rôle traditionnel de contestation au Parlement, elle s’est révélée essentielle pour dévoiler la vérité des chiffres qui circulent.
Mohamed Nabil Benabdellah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), a brisé le silence en s’appuyant sur des données officielles. Un document gouvernemental a en effet révélé que le montant total réel des exonérations fiscales liées à l’importation de bovins et d’ovins s’élevait à 13,3 milliards de dirhams, et que le nombre total d’importateurs bénéficiaires était de 277.
Cette révélation met un terme aux contradictions de la majorité, qui cherchaient davantage à détourner l’attention qu’à apporter de la clarté à une affaire devenue un véritable sujet de débat public. Il apparaît ainsi que l’opposition ne se limite pas à des discours enflammés au Parlement, mais joue un rôle clé en exposant des faits embarrassants pour le gouvernement, qui tente souvent de les dissimuler au grand public.
Ce n’est pas un hasard si la Constitution accorde une place primordiale à l’opposition. Elle la mentionne dès ses premiers articles, après la définition du Royaume, en reconnaissance de son rôle central dans le système démocratique. La Constitution lui confère notamment le monopole de la présidence de la Commission de la Justice et de la Législation à la Chambre des représentants.
Cette importance accordée par le législateur à l’opposition n’est pas fortuite. Elle reflète la nécessité d’un véritable contre-pouvoir, un concept que le gouvernement semble encore avoir du mal à assimiler. Forte de sa majorité numérique, celle-ci a tendance à imposer sa volonté en oubliant que l’opposition est là pour surveiller, dénoncer et rétablir l’équilibre démocratique.
Sans l’opposition, le scandale du contrat de dessalement de l’eau de mer n’aurait pas éclaté, plongeant le chef du gouvernement dans une affaire dont il peine aujourd’hui à se dépêtrer.