Le Parti de l’Istiqlal se trouve aujourd’hui au cœur d’une équation cruciale qui pourrait bien redéfinir le sens du contrôle de l’action gouvernementale, et dissiper les craintes suscitées par la domination numérique de la majorité. Cette équation concerne l’initiative présentée au Parlement visant à créer une commission d’enquête sur ce que les médias ont nommé « l’affaire des intermédiaires de bétail » (ou « Farakchiya »).
L’initiative parlementaire d’enquête sur les faits, concernant les subventions publiques destinées à l’importation du bétail et à la gestion du secteur de l’élevage depuis la fin de 2022, constitue un exercice démocratique important. Cet exercice conserve sa valeur qu’il aboutisse ou non, car il mettra à l’épreuve notre démocratie — non pas dans son existence constitutionnelle, mais à travers la manière dont les acteurs politiques interagissent avec elle, et leur vision des outils démocratiques dans l’exercice du contrôle parlementaire.
L’enquête sur les faits est un mécanisme prévu par la Constitution. L’article 67 stipule qu’en plus des commissions permanentes, il peut être créé, à l’initiative du Roi, ou à la demande du tiers des membres de la Chambre des représentants ou de la Chambre des conseillers, des commissions parlementaires d’enquête. Celles-ci sont chargées de recueillir des informations sur des faits spécifiques, ou sur la gestion d’intérêts, d’institutions ou d’entreprises publiques, et d’en informer la chambre qui les a constituées.
Il est également précisé qu’aucune commission d’enquête ne peut être formée si les faits concernés font l’objet de poursuites judiciaires en cours. Et toute commission d’enquête déjà constituée voit ses travaux suspendus dès l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les mêmes faits.
Ces commissions sont par nature temporaires, et leur mission prend fin avec le dépôt de leur rapport auprès du bureau de la chambre concernée, et éventuellement, avec sa transmission à la justice par le président de cette chambre.
L’opposition, quant à elle, n’a pas les moyens de réunir seule le tiers des signatures requises, soit 132 députés. Elle ne dispose actuellement que de 94 membres, ce qui l’empêche de porter seule cette initiative à terme.
C’est pourtant le Parti de l’Istiqlal qui a été le premier à médiatiser cette affaire. Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, avait évoqué pour la première fois sur une chaîne publique l’existence de 18 acteurs dominants dans le marché de la viande rouge, accusés de fixer les prix. Il avait alors promis des mesures gouvernementales pour rétablir l’équilibre du marché.
Le secrétaire général du parti, Nizar Baraka, avait ensuite approfondi le sujet lors d’un rassemblement partisan, dévoilant le nombre d’importateurs de bétail, les bénéfices réalisés grâce aux subventions, et présentant finalement un document gouvernemental détaillant des chiffres en contradiction avec ceux avancés par Rachid Talbi Alami dans un contexte de joutes politiques.
Aujourd’hui, le Parti de l’Istiqlal se retrouve face à deux options déterminantes pour son positionnement.
Première option : rejoindre l’initiative, soit par l’ensemble de son groupe parlementaire, soit par certains de ses membres. Étant donné que c’est lui qui a soulevé le sujet au départ, il en découle une certaine responsabilité morale et politique de soutenir cette enquête. Cela représenterait un service rendu à la démocratie et à l’intérêt général.
Deuxième option : faire prévaloir la solidarité gouvernementale au sein de la majorité, ce qui entraînerait la chute de l’initiative. Dans ce cas, l’exercice démocratique serait sauvé en théorie, mais ce serait le Parti de l’Istiqlal qui en sortirait affaibli politiquement.