D’un point de vue principiel, les militants sincères et fidèles à la cause palestinienne – non seulement par solidarité nationale, mais surtout par opposition aux forces coloniales israéliennes et à leurs alliés impérialistes – ne peuvent que soutenir toutes les formes de résistance libératrice. C’est pourquoi il est impératif de soutenir le mouvement Hamas en tant que résistance contre l’occupation israélienne, tout en le critiquant dans le cadre des conditions difficiles auxquelles font face les Palestiniens sous blocus et sous attaque. La critique ne doit pas être dictée par la volonté de ménager certaines sensibilités sous prétexte que le mouvement jouit d’une popularité auprès d’une large partie des Palestiniens et même en Occident en raison de sa position contre l’occupation.
Cependant, comme tout mouvement politique ou militaire, le Hamas n’est pas exempt de critique. Il est soumis à diverses évaluations selon les points de vue politiques, éthiques et juridiques. Certains acteurs de la résistance nationale palestinienne l’accusent, d’un point de vue des droits humains, d’adopter des tactiques causant des pertes civiles, telles que le lancement d’initiatives individuelles sans consultation ni notification préalable (ou encore le tir de roquettes depuis des zones résidentielles, mettant en danger les civils). D’un point de vue politique, ses détracteurs estiment que son discours radical peut entraver le processus de paix ou toute solution politique au conflit israélo-palestinien. Cette perspective mérite d’être prise en compte, notamment en tenant compte des critiques sur la gestion de la bande de Gaza, y compris les restrictions sur les libertés internes ou le traitement des opposants. De plus, l’Autorité palestinienne elle-même lui reproche de compliquer les relations palestiniennes avec certains pays en raison de ses alliances ou de ses conflits avec certains régimes arabes et autres acteurs internationaux.
Toutefois, le dilemme du Hamas réside dans la contradiction entre sa légitimité populaire et son efficacité limitée. Il jouit d’un soutien populaire en raison de son engagement dans la résistance, mais peut manquer d’une vision politique capable d’aboutir à l’indépendance. De plus, dans un contexte régional en mutation, il se retrouve contraint de tisser des alliances tactiques avec des puissances comme l’Iran ou la Turquie, qui peuvent lui être bénéfiques sur le court terme mais qui, sur la scène internationale, renforcent la rhétorique occidentale assimilant le mouvement au « terrorisme », ce qui nuit à la cause palestinienne.
Aucune organisation politique ou militaire n’est infaillible, et la critique constructive est essentielle pour tout groupe aspirant à atteindre ses objectifs. Mais cette critique doit être objective et équitable, tenant compte du contexte historique et politique dans lequel évoluent le Hamas et les autres factions de la résistance, qui adoptent diverses approches idéologiques et doctrinales. Le Hamas fait partie d’un paysage palestinien complexe, marqué par des conflits internes (comme sa rivalité avec l’Autorité palestinienne) et des tensions externes (liées à ses alliances régionales). Certaines de ses positions risquent d’accroître son isolement international ou d’être exploitées par Israël comme prétexte pour intensifier son agression, ce qui appelle à une évaluation rationnelle et sereine de ses stratégies.
L’erreur ne corrige pas l’erreur. Il est donc inacceptable de répondre à une critique par une accusation de trahison ou d’hérésie. La cause palestinienne a besoin d’une unité nationale fondée sur le pluralisme et le respect des opinions divergentes, tout en maintenant des principes communs tels que la résistance à l’occupation et le rejet de la normalisation. Ainsi, une critique objective du Hamas (ou du Fatah ou de toute autre faction) n’est pas un acte de trahison, mais une responsabilité visant à garantir que la résistance reste efficace et fidèle aux aspirations du peuple palestinien, sans nuire à ses intérêts. La critique ne remet pas en cause la légitimité de la lutte, mais met en lumière des erreurs susceptibles d’affaiblir la cause ou d’aggraver la souffrance des Palestiniens (telles que des tactiques militaires exposant les civils à des dangers ou des répressions internes à Gaza). Il est donc crucial de distinguer critique et trahison, ainsi que de rejeter toute approbation aveugle, car une critique constructive contribue à améliorer la performance de tout mouvement de libération.
Si l’on doit sacraliser quelque chose, ce devrait être les principes de justice inhérents à la cause palestinienne. Cette justice ne peut être réalisée qu’en équilibrant la légitimité de la résistance contre l’occupation avec une responsabilité morale face aux violations internes et aux erreurs stratégiques, tout en maintenant une sagesse politique permettant d’éviter que ces erreurs ne soient exploitées pour discréditer la cause. Il est essentiel d’éviter une approche purement émotionnelle qui sacralise les sentiments au détriment d’une analyse rationnelle du coût des décisions.
Cette problématique est d’autant plus critique qu’elle se nourrit des hésitations fatales qui surgissent entre la nécessité de la libération et celle de la résistance, tandis que l’idée de la normalisation forcée se glisse insidieusement dans les méandres d’un règlement édulcoré par des compromis douteux.
Existe-t-il une réflexion sérieuse et critique permettant de forger une vision équilibrée et précise d’une situation extrêmement complexe, qui concilie le soutien au principe de résistance légitime contre l’occupation avec la nécessité d’une critique constructive du Hamas (ou de tout autre mouvement de résistance) ? Cet équilibre est essentiel pour comprendre les dynamiques du conflit israélo-palestinien sans tomber dans la simplification ou le parti pris aveugle. C’est pourquoi il faut insister sur le fait que la critique nationale sincère représente le plus haut degré de loyauté envers la cause. Mais la mise en pratique de ce principe demeure un défi dans un contexte palestinien fragmenté et face à une occupation opportuniste qui exploite la moindre faille.
Mustapha Manouzi, Président du Centre Marocain pour la Démocratie et la Sécurité
