ELHAZZITI Mohammed Anouar, expert en développement territorial et réforme de l’administration
Dans une démarche audacieuse et stratégique visant à assurer la position du Maroc à la pointe de l’ère numérique, le pays a lancé en septembre 2024 son initiative nationale « Maroc Digital 2030 ». Cette stratégie vise à faire du Maroc un centre numérique de premier plan en Afrique du Nord et à consolider sa position en tant qu’acteur majeur dans le paysage numérique mondial. Conçue comme une initiative globale, elle ambitionne d’accélérer la transformation numérique du pays, avec un accent particulier sur l’atteinte d’une souveraineté numérique complète, la promotion de l’économie numérique et la construction d’une infrastructure numérique robuste. Au cœur de cette initiative, « Maroc Digital 2030 » vise à renforcer le contrôle national sur les ressources et les données numériques, garantissant l’autosuffisance du Maroc dans la gestion de son écosystème numérique, sans dépendance excessive à la technologie étrangère.
À mesure que la numérisation progresse à l’échelle mondiale, la question de la souveraineté numérique suscite un intérêt croissant. La souveraineté numérique désigne la capacité d’un État à contrôler son infrastructure numérique, ses données et ses technologies. Cela comprend la protection des données nationales contre les ingérences étrangères et la garantie que l’État puisse protéger ses infrastructures numériques critiques. Dans ce contexte, les efforts du Maroc pour établir une souveraineté numérique reflètent sa volonté d’affirmer son indépendance dans un environnement numérique de plus en plus interconnecté et mondialisé. En mettant l’accent sur la souveraineté numérique, le Maroc s’efforce de protéger les données de ses citoyens, de garantir la sécurité de son infrastructure numérique et de maintenir sa capacité à décider de son avenir numérique.
La création d’une infrastructure cloud nationale constituera l’un des aspects essentiels de la souveraineté numérique du Maroc. Ce cloud servira de plateforme sécurisée et fiable pour stocker et gérer les données du pays, à l’abri du contrôle des entreprises étrangères. L’initiative du cloud national visera à garantir que les données marocaines restent dans les frontières du pays, un enjeu crucial à l’heure des préoccupations croissantes concernant la confidentialité des données, la cybersécurité et l’accès potentiel des gouvernements étrangers à des données sensibles. Par cette initiative, le Maroc se positionnera également comme un futur hub régional de stockage et de gestion des données, susceptible d’attirer des entreprises et des gouvernements recherchant un environnement sécurisé sous contrôle local.
Parallèlement à la souveraineté numérique, la stratégie accorde une attention particulière à la numérisation des services publics. Par le passé, le secteur public marocain a souffert de lourdeurs bureaucratiques et de lenteurs administratives, provoquant souvent de la frustration chez les citoyens et les entreprises. En numérisant les services publics, le Maroc entend simplifier les procédures administratives, faciliter l’accès des citoyens aux services essentiels en ligne et améliorer leur interaction avec les institutions gouvernementales. Cette initiative devrait permettre une amélioration de la qualité des services publics, accroître la transparence et alléger la charge administrative pesant sur les citoyens, rendant ainsi l’État marocain plus efficace et plus réactif aux besoins de sa population.
Par exemple, la transformation numérique du système de santé marocain constitue un axe central de la stratégie. À travers la mise en œuvre d’initiatives de santé électronique, le gouvernement espère améliorer l’accès aux soins, en particulier dans les régions éloignées ou défavorisées. Ces initiatives incluent la création de plateformes numériques pour la prise de rendez-vous médicaux, l’accès aux dossiers de santé et les consultations médicales en ligne. En outre, le Maroc projette de numériser son système éducatif, facilitant ainsi l’accès des étudiants aux contenus pédagogiques, la communication avec le personnel enseignant et la participation à des cours en ligne. L’objectif ultime est de créer un secteur public plus accessible, inclusif et efficace, capable de mieux répondre aux besoins des citoyens.
Le potentiel économique du Maroc numérique est immense. L’un des objectifs majeurs de « Maroc Digital 2030 » est d’augmenter de manière significative les exportations numériques du pays, passant de 1,5 milliard de dollars US en 2023 à un objectif ambitieux de 4 milliards d’ici 2030. En stimulant une économie numérique florissante, le gouvernement espère générer de nombreuses opportunités pour les entreprises locales, les entrepreneurs et les start-ups, leur permettant de rivaliser sur la scène mondiale. L’économie numérique offrira aux entreprises marocaines un accès facilité aux marchés internationaux, une réduction des coûts et un gain de productivité grâce à l’adoption de technologies telles que l’intelligence artificielle, la blockchain et l’Internet des objets (IoT). De plus, la croissance de l’économie numérique créera des emplois bien rémunérés dans des secteurs comme le développement de logiciels, le marketing digital, la cybersécurité et le commerce électronique, contribuant ainsi à diversifier l’économie marocaine et à réduire sa dépendance aux industries traditionnelles. Pour soutenir ces objectifs ambitieux, le Maroc développe également son infrastructure numérique, pierre angulaire de sa transformation digitale. Cela inclut le déploiement de la technologie 5G sur l’ensemble du territoire, permettant un accès à internet plus rapide et fiable, notamment dans les zones rurales mal desservies.
L’adoption de la 5G n’améliorera pas seulement la qualité de vie des citoyens, mais ouvrira aussi de nouvelles opportunités pour les entreprises et les entrepreneurs, notamment dans les domaines du e-commerce, de la télémédecine et du télétravail. De plus, le plan prévoit de connecter 5,6 millions de foyers au réseau en fibre optique à haut débit, contribuant à combler la fracture numérique et à garantir un accès équitable aux services et opportunités numériques à travers tout le pays.
Malgré les avancées significatives du Maroc en matière de transformation numérique, plusieurs défis restent à relever pour réaliser le plein potentiel de la stratégie « Maroc Digital 2030 ». L’un des plus pressants est la dépendance persistante du pays aux technologies étrangères, en particulier dans des domaines comme le cloud computing, l’intelligence artificielle et la cybersécurité. Bien que le Maroc ait fait des progrès notables dans le développement de ses propres capacités numériques, il reste largement tributaire des entreprises étrangères pour des technologies et services clés. Pour remédier à cette situation, le pays investit dans le développement des compétences et talents locaux dans ces secteurs cruciaux. À titre d’exemple, l’Université Al Akhawayn a établi un partenariat avec le Centre Deloitte pour la cybersécurité afin de former 30 experts en cybersécurité par an. Cette collaboration vise à combler le déficit de compétences et à garantir que le Maroc dispose de professionnels qualifiés pour soutenir et sécuriser son infrastructure numérique en pleine expansion face aux menaces cybernétiques.
En complément des initiatives nationales, le Maroc cherche également à établir des partenariats internationaux pour renforcer sa souveraineté numérique et sa compétitivité mondiale. Le pays a signé des accords avec plusieurs acteurs internationaux majeurs, notamment la France et les États-Unis. Ces partenariats visent à renforcer la coopération dans des domaines tels que les énergies renouvelables, les technologies numériques et l’intelligence artificielle. Avec la France, le Maroc travaille sur des projets communs visant à renforcer les capacités numériques dans des secteurs variés, de l’administration publique à l’éducation et à la santé. Parallèlement, la collaboration avec les États-Unis se concentre sur le développement de la recherche et de l’innovation en intelligence artificielle, permettant au Maroc de rester compétitif dans un paysage technologique mondial en constante évolution.
La stratégie « Maroc Digital 2030 » constitue également une étape décisive pour consolider la position du pays sur la scène internationale, en veillant à ce que le Maroc ne soit pas seulement un consommateur de technologies numériques, mais aussi un producteur et un innovateur dans l’économie numérique. En investissant dans l’infrastructure, les compétences locales et les partenariats internationaux stratégiques, le Maroc jette les bases d’un avenir numérique durable et autonome. En conclusion, la stratégie « Maroc Digital 2030 » représente une étape majeure dans la quête du pays pour la souveraineté numérique et la prospérité économique. À travers la numérisation des services publics, le développement de l’infrastructure numérique et des investissements stratégiques dans les talents locaux et les partenariats internationaux, le Maroc se positionne comme un leader de la transformation numérique en Afrique du Nord. Alors que le monde devient de plus en plus interconnecté et dépendant des technologies numériques, l’engagement du Maroc à construire un écosystème numérique sécurisé, compétitif et autosuffisant garantira au pays une position favorable pour prospérer à l’ère numérique. Le succès de cette stratégie ne se limitera pas à transformer l’économie et la société marocaines, mais servira également de modèle pour les autres pays de la région désireux d’affirmer leur souveraineté numérique et de relever les défis de l’èr numérique.