Elhazziti mohammed anouar.
Expert en développement territorial et réforme de l’administration. Membre de l’institut international des sciences administratives
Dans un monde marqué par les avancées technologiques rapides et l’évolution des attentes des citoyens, l’innovation n’est plus un luxe réservé au secteur privé. Partout dans le monde, les gouvernements adoptent de nouvelles technologies, méthodes et mentalités pour réinventer leurs systèmes d’administration publique. Autrefois perçues comme des institutions bureaucratiques et rigides, les administrations publiques évoluent aujourd’hui pour relever les défis de l’ère moderne, privilégiant l’efficacité, la réactivité et des services centrés sur le citoyen. Ces transformations remodèlent la relation entre les gouvernements et les citoyens qu’ils servent et ouvrent de nouvelles perspectives pour la prestation des services publics de demain.
Une révolution silencieuse au sein de l’État
Pour beaucoup, l’idée d’innovation au sein de l’État peut paraître paradoxale. Après tout, les gouvernements sont traditionnellement perçus comme lents, accablés par une bureaucratie et des réglementations complexes. Pourtant, ces dernières années, une révolution silencieuse s’est opérée en coulisses, où fonctionnaires, décideurs politiques et technologues travaillent ensemble pour remettre en question le statu quo. Au cœur de cette transformation se trouve l’engagement d’utiliser des outils et des méthodologies innovants pour améliorer la conception et la prestation des services publics.
La motivation derrière cette volonté d’innovation est claire : les gouvernements sont confrontés à une pression croissante pour faire plus avec moins. Entre les attentes croissantes des citoyens et les contraintes budgétaires, les anciennes méthodes ne suffisent plus. Il en résulte une tendance croissante à la modernisation de l’administration publique afin de créer des systèmes plus efficaces, transparents et participatifs, répondant aux besoins complexes des sociétés d’aujourd’hui.
Le rôle de la technologie dans l’administration publique
Au cœur de cette transformation se trouve l’adoption généralisée des technologies numériques. Les gouvernements exploitent de plus en plus la puissance de l’intelligence artificielle, du big data et du cloud computing pour rationaliser les tâches administratives, améliorer la prestation de services et prendre des décisions éclairées. Ces outils permettent aux gouvernements de mieux gérer les ressources publiques, d’améliorer l’analyse des politiques et de créer des services plus personnalisés pour les citoyens.
Prenons l’exemple de l’Estonie : un petit pays européen devenu un leader mondial de la gouvernance numérique. Le gouvernement estonien a mis en œuvre avec succès des systèmes d’administration en ligne permettant aux citoyens d’accéder à la quasi-totalité des services publics. Du vote au paiement des impôts, en passant par les demandes de permis et l’accès aux dossiers médicaux, les citoyens estoniens peuvent gérer leurs interactions avec l’État grâce à une identité numérique sécurisée. Ce modèle a permis de réduire la bureaucratie, de réduire les coûts et d’améliorer la satisfaction des citoyens en rendant les services plus rapides, plus efficaces et plus accessibles.
Au Canada, le gouvernement fédéral a créé un pôle d’innovation appelé « Laboratoire d’innovation en politiques ». Ce laboratoire collabore avec les fonctionnaires pour développer, tester et déployer de nouvelles idées afin de résoudre des défis complexes en matière de politiques publiques. En offrant un espace d’expérimentation, le laboratoire permet aux décideurs politiques de tester de nouvelles solutions avant de s’engager dans une mise en œuvre à grande échelle, réduisant ainsi le risque d’échec et encourageant la créativité.
Conception centrée sur l’humain et engagement citoyen
L’un des changements les plus significatifs dans l’innovation de l’administration publique est l’importance croissante accordée à la conception centrée sur l’humain. Historiquement, les services publics étaient souvent conçus de manière descendante, sans grande participation des citoyens. Aujourd’hui, les gouvernements repensent cette approche et placent les besoins, les expériences et les perspectives des citoyens au cœur de la conception des services.
La conception centrée sur l’humain implique la création de politiques, de services et de plateformes numériques intuitifs, conviviaux et conçus pour répondre aux besoins réels du public. Cette approche est illustrée par le Government Digital Service (GDS) britannique, qui a redéfini la manière dont les services publics sont fournis en ligne. En simplifiant les interfaces numériques et en standardisant l’expérience utilisateur au sein des différents services gouvernementaux, le GDS a simplifié la navigation des citoyens dans des services gouvernementaux complexes, tels que la demande de prestations sociales ou la déclaration d’impôts.
Les gouvernements reconnaissent également de plus en plus l’importance de la participation du public au processus décisionnel. Afin de renforcer la confiance et la légitimité démocratique, de nombreuses administrations adoptent de nouveaux modèles d’engagement citoyen, tels que la budgétisation participative, les consultations publiques et les initiatives de technologies civiques. Dans des pays comme le Brésil et l’Inde, les processus de budgétisation participative permettent aux collectivités locales de décider de l’affectation des fonds publics, donnant ainsi aux citoyens un droit de regard direct sur l’utilisation de leurs impôts. Ces initiatives non seulement responsabilisent les citoyens, mais contribuent également à garantir que les politiques reflètent les besoins et les priorités de populations diverses.
Lever les barrières bureaucratiques
Si les outils technologiques et l’engagement citoyen sont essentiels, le changement culturel au sein des institutions gouvernementales l’est tout autant. Pendant des années, l’administration publique a été contrainte par des hiérarchies rigides, des réglementations strictes et une culture d’aversion au risque. Surmonter ces barrières bureaucratiques est essentiel pour favoriser un secteur public plus innovant et agile.
Pour relever ce défi, de nombreux gouvernements créent des laboratoires d’innovation ou des « unités de prestation » au sein de l’administration publique. Ces unités fonctionnent comme des startups au sein du gouvernement, testant de nouvelles idées, menant des expériences et évaluant leurs résultats avant de les déployer à grande échelle. Par exemple, l’agence GovTech de Singapour travaille en étroite collaboration avec le secteur privé et les collectivités locales pour développer de nouvelles solutions technologiques pour les prestations de services publics. En adoptant une approche plus flexible et axée sur les résultats, ces unités d’innovation encouragent l’expérimentation et favorisent une culture d’amélioration continue.
Le pouvoir de la cocréation
L’une des avancées les plus prometteuses en matière d’innovation dans l’administration publique est la prise de conscience croissante que les gouvernements ne doivent pas innover de manière isolée. Au contraire, les citoyens, les entreprises et les organisations de la société civile sont invités à cocréer des services publics aux côtés des agences gouvernementales. En ouvrant le processus d’élaboration des politiques et en impliquant le public dans la prise de décision, les gouvernements exploitent une mine d’idées, de connaissances et d’expertises qui resteraient autrement inexploitées.
Les hackathons civiques, les plateformes de crowdsourcing et les initiatives de données ouvertes sont autant d’exemples de la manière dont les gouvernements encouragent l’innovation citoyenne. Dans des pays comme la Suède et la Finlande, les plateformes participatives permettent aux citoyens de proposer, de voter et de collaborer sur de nouvelles politiques et de nouveaux services. Ces efforts améliorent non seulement la qualité des services publics, mais contribuent également à renforcer les relations entre les gouvernements et les citoyens qu’ils servent.
La voie à suivre : Institutionnaliser l’innovation
Malgré ces succès, le chemin vers une administration publique pleinement innovante est loin d’être achevé. L’un des principaux défis auxquels les gouvernements sont confrontés est de s’assurer que l’innovation soit ancrée dans la structure de la fonction publique plutôt que d’être traitée comme une série d’initiatives ponctuelles. Pour y parvenir, les gouvernements devront investir dans le développement des compétences numériques au sein du secteur public, réformer les règles de passation des marchés publics afin d’encourager l’expérimentation et garantir la transparence dans l’utilisation des données et des technologies.
Alors que la frontière entre les attentes du public et les normes du secteur privé s’estompe, les gouvernements doivent s’adapter et évoluer pour rester pertinents dans un monde en constante évolution. L’avenir de l’administration publique réside dans sa capacité à favoriser une culture de l’innovation, une culture qui recherche en permanence de nouvelles solutions aux problèmes, améliore les services et répond aux besoins changeants des citoyens.
Les gouvernements qui adoptent l’innovation renforceront non seulement leur capacité à fournir des services efficaces et efficients, mais bâtiront également un secteur public plus résilient et réactif, capable de relever les défis d’un monde de plus en plus complexe et interconnecté.