Il arrive parfois que certaines organisations professionnelles choisissent de se parler à elles-mêmes, de se répondre en écho. La Fédération Marocaine des Éditeurs de Journaux, en tant qu’organisation professionnelle regroupant des éditeurs de divers horizons médiatiques et de différentes régions du pays, a fait un autre choix : celui d’écouter des générations variées de Marocains, liés au droit ou au journalisme.
Sa conférence, intitulée « La crise existentielle de la presse et les voies du salut », s’est voulue un espace de débat d’idées, sans surenchère ni accusation, qu’on soit responsable ou simple acteur du secteur. Car, après tout, nous sommes tous à bord du même navire : s’il tient bon, nous restons à flot ensemble, mais s’il sombre — que Dieu nous en préserve —, c’est tout le monde qui sera englouti.
Parler à soi-même, c’est comme se nourrir de sa propre chair. À terme, cela mène à la disparition. La conférence de Rabat a été conçue comme une occasion pour les Marocains d’écouter une vision collective, à travers des figures politiques et juridiques de poids : le constitutionnaliste et ancien ministre de la Justice, Mechichi Alami, l’actuel directeur de l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication (ISIC), ainsi que trois anciens ministres de la Communication — Mohamed Nabil Benabdellah, Mustapha El Khalfi et Mohamed Abaa Abaa —, sans oublier le spécialiste en marketing de la presse Mohamed Brada. À leurs côtés, des experts, journalistes et universitaires ont chacun exposé la crise selon leur propre perspective.
Personne ne veut assumer cette crise, qui pourtant doit être reconnue. Tout le monde la fuit, alors que chacun y a contribué, ne serait-ce qu’en laissant les décideurs agir à leur guise. Or, il est difficile de nier les constats lorsqu’ils viennent de figures aussi crédibles du pays. Ces diagnostics se fondent sur des interrogations fondamentales, qui touchent la réalité de la presse et la profondeur de sa crise. L’objectif est d’ouvrir une brèche dans cette obscurité, dans l’espoir qu’une main se tende pour sauver un secteur indispensable à toute construction démocratique.
La conférence a refusé la lecture unique. L’enjeu n’était pas tant de se mettre d’accord ou de diverger sur le constat, mais bien de reconnaître qu’il y a crise. Et un bon diagnostic mène souvent à de bonnes solutions. Il suffit aux acteurs du secteur d’écouter la voix des sages — ces personnes qui, désormais, n’ont plus d’intérêt direct, mais dont l’expérience mérite attention. Certains d’entre eux ont tout connu de la presse, de la politique, et même des fonctions ministérielles, et c’est précisément cette expertise qu’il serait dommage de négliger.
Un hadith dit : « Ma communauté ne s’accorde pas sur l’erreur ». Cette citation n’a rien à voir avec la logique de majorité, d’hégémonie ou de pouvoir. L’unanimité ici prend tout son sens dans la diversité politique, intellectuelle, juridique et culturelle des intervenants. Des profils si différents qu’il est impossible de penser qu’ils se soient « entendus » sur une posture commune.
Cet accord, loin d’un consensus folklorique, est un cri fédérateur qui cherche à atteindre ceux à qui cela importe — et même ceux qui croient que cela ne les concerne pas. Car la crise de la presse pourrait bien être l’étincelle qui embrase tout le champ de la démocratie.
La Fédération a eu raison d’intituler sa conférence « Crise existentielle et voies du salut ». Elle envoie ainsi un message clair : il n’y a pas débat sur le diagnostic, mais puisque les solutions divisent, il faut rassembler toutes les forces pour construire une véritable issue.
Quand les sages du pays et de la presse prennent la parole, il est du devoir de tous de les écouter. Après tout, nous n’avons rien à perdre.