critique réductrice de la narration partisane au Maroc
par Mustapha El Manouzi
Bien que le paysage partisan au Maroc soit présenté comme un signe d’ouverture et de pluralisme, la diversité qu’il affiche n’est en réalité qu’une façade formelle, dissimulant une absence profonde de pluralisme politique et intellectuel. Ce que nous observons à chaque échéance électorale ou moment de reconfiguration politique n’est rien d’autre qu’un conflit transversal, répétitif et vidé de tout contenu réel, visant uniquement à rivaliser sur la meilleure manière de « réparer » les dysfonctionnements de la gestion publique, sans jamais interroger leurs racines ni déconstruire leurs structures productrices.
Dans ce contexte, la politique se réduit à des binarismes éculés du type « Renaissance ou Appel ? » ou « Bleu ou Vert ? » — sur le modèle du classique « Wydad ou Raja ? » niant l’existence du RAC ou du TAS ; ou encore « Ahly ou Zamalek ? » au détriment d’équipes comme les Ingénieurs ou le Club de la Garde frontalière. Ce schéma ressasse une question stérile : « Qui est le moins pire ? », à laquelle la réponse la plus fréquente reste : « le plus amer des deux ». Ainsi, la politique est pratiquée comme une simple gestion technique d’une réalité imposée, plutôt que comme un art de production de sens ou un espace de libération de la volonté collective. Les électeurs, au nom du réalisme, sont poussés à choisir dans un périmètre réduit, comme s’ils participaient à une procédure obligatoire, et non à un acte démocratique libre.
Cette réduction n’est pas innocente. Elle vide le pluralisme de sa force transformatrice et reproduit le même système sous d’autres appellations. En arrière-plan, s’installe une narration implicite qui sanctuarise l’État, le plaçant au-dessus de tout soupçon ou critique structurelle. Tandis que l’échec est systématiquement attribué aux partis et gouvernements successifs, les structures profondes et les choix stratégiques demeurent à l’abri de toute interpellation politique ou sociale sérieuse.
Mais le Maroc, avec toute sa richesse humaine et naturelle, ne peut se réduire à un Rif et un Sahara, ni à des élites électoralistes qui s’arrachent la représentation de ce qu’elles ne représentent pas. C’est un pays qui s’étend du Petit au Moyen Atlas, des plateaux aux vallées, foisonnant de diversité, et c’est cette diversité qui doit se refléter dans la politique, et pas seulement dans la géographie.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce n’est pas simplement d’un pluralisme partisan, mais d’un pluralisme de qualité — intellectuel et politique — qui ouvre la voie à l’interrogation des racines de la tyrannie administrative, à la déconstruction du système de rente et d’allégeance, et à la refondation d’une nouvelle conception de la citoyenneté comme acte critique et participatif, et non comme simple chiffre dans une urne.
Il est temps de dépasser cette narration galvaudée qui transforme la politique en compétition de « qui lave le mieux les saletés de l’expérience » tout en enjolivant les dysfonctionnements, laissant l’État hors de portée de toute critique, protégé par les récits du « stabilité » et de « l’exception marocaine ». Les peuples ne progressent que lorsqu’ils trouvent le courage de questionner les évidences, de libérer le pluralisme de ses contraintes quantitatives et utilitaires, et de restituer à la politique sa véritable essence : celle d’un acte de volonté, et non d’un simple colmatage de brèches.
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(Note sans lien direct avec ce qui précède, sinon en guise de fiction narrative !*)
De l’ironie verbale à la tragédie ironique :
Dans un contexte de diversité et d’élévation de l’ironie comme figure rhétorique, rappelons l’affaire de la jeune conseillère municipale à Agadir, qui avait adressé une critique respectueuse et élevée au président du conseil urbain. Celui-ci, arborant sa casquette de chef du gouvernement, lui a répondu avec un mépris implicite en déclarant qu’il « ne répondrait qu’en présence des grands, là-bas dans la capitale », la marginalisant ainsi. Le comble de l’ironie surgit lorsqu’au cours de la même saison politique, un jeune homme originaire de Souss, encore plus jeune qu’elle, est nommé ministre. C’est comme si le temps politique lui avait répondu par l’acte. Depuis, ce même président se retrouve à dialoguer avec un ancien chef du gouvernement dans un langage digne d’Ibn al-Muqaffa‘, transformant le « dialogue des grands » en une tragédie rhétorique.
Le spectacle est ainsi passé d’une ironie verbale — où l’on dit une chose pour en signifier une autre — à une ironie tragique, dans laquelle le public connaît une vérité capitale ignorée du « héros », rendant l’ironie pleinement manifeste.
Et là, le proverbe populaire trouve toute sa profondeur : « Le bâton que tu méprises peut te crever l’œil », avec cette nuance : la jeune conseillère n’était pas de « la lignée qui crève les yeux », mais de « la génération qui éclaire les esprits », réorganisant les significations en dehors du jeu de l’héritage et du mépris, et au service de la considération et du respect véritable.