Nous ne sommes pas obligés de répéter des évidences fondamentales selon lesquelles nous sommes contre le colonialisme et l’absolutisme, où qu’ils se trouvent, car cela constitue le fondement même de notre existence. Par conséquent, nous n’avons pas besoin qu’on nous rappelle nos choix stratégiques, nos divergences et contradictions avec nos adversaires, ennemis et alliés, qu’ils soient réels ou supposés ! Ainsi, toutes nos analyses concernent la pratique sans compromettre le principe, en nous appuyant sur une pensée critique prospective.
Il est vrai que la solidarité marocaine avec la cause palestinienne se distingue par un enthousiasme émotionnel important, mais pour garantir sa continuité et son impact réel, elle doit évoluer vers une solidarité rationnelle, critique et prospective. La première étape consiste à élargir le débat sur les formes de solidarité avec tous les Palestiniens attachés à la libération de leur pays, sur le territoire palestinien, sans distinction ni préférence entre les expressions politiques, sociales et juridiques du peuple palestinien. Étant donné que la revendication principale, à savoir la légitimité de la libération, s’est transformée, en raison des changements et des rapports de force mondiaux, en droit à la résistance, la solidarité véritable doit être associée au droit de suivi, d’évaluation de l’impact et des coûts, sans interférer dans la prise de décision palestinienne, malgré sa pluralité, et sans nuire à son indépendance. Cela s’appelle une solidarité critique, en particulier pour les peuples qui consacrent une grande partie de leur temps de lutte et un vaste espace de leurs espaces publics à soutenir des causes justes dans le monde, y compris la cause palestinienne en tant que cause nationale.
Étant donné que ce qui se passe affecte le destin national dans le cadre des transformations géostratégiques, le choix de la solidarité doit reposer avant tout sur une pensée critique prospective. Cela signifie que la vision prospectiviste doit être participative, puisque les résultats se refléteront sur la carte des alliances, des priorités, et affecteront les intérêts et les droits des peuples. Le conflit n’est pas destiné à durer éternellement, mais pour qu’il change, il faut briser les cycles des récits conflictuels et construire un nouveau langage basé sur la justice et non sur la domination. Combien de soutiens sont encadrés par l’assujettissement et combien de solidarités génèrent de la subordination ? Quelle ironie de voir une solidarité émotionnelle inconditionnelle se transformer en solidarité contraignante, surtout en ce qui concerne l’assumer les séquelles de la défaite ou s’engager dans des guerres ouvertes et sans fin, dont l’impact peut être aussi grave que celui de la normalisation, devenu un fait accompli. Si nous ne forçons pas nos responsables à exercer des pressions (comme une carte qu’utilise le régime pour se protéger, surtout sur le plan sécuritaire) afin de résoudre le problème palestinien de manière équitable et juste, nous souffrirons du plan croissant de la sionisation et nous tomberons victimes de deux fondamentalismes opposés, encadrés par le récit religieux et le récit sécuritaire. Ainsi, nous perdrons la légitimité de la liberté au nom de la légitimité de l’identité, dans un système politique qui s’adapte sans se transformer, et dans un mouvement progressiste qui a perdu son éclat depuis la chute du Mur de Berlin, qui a perdu son orientation libératrice et progressiste, et où les questions de l’identité partisane et des libertés individuelles se confondent avec les libertés collectives. Pourtant, une identité sans liberté conduit à l’absolutisme, et la liberté sans identité peut générer un isolement par rapport à la réalité sociale. Le plus grand défi reste la construction de récits qui intègrent l’identité et la liberté sans en annuler aucun, à travers un dialogue critique et des législations équilibrées. Cependant, la question la plus profonde, souvent évitée à travers des alliances artificielles, reste : l’identité peut-elle devenir une source de liberté au lieu d’être un fardeau ?
La réponse dépend de la manière dont ces récits sont reformulés dans chaque contexte à travers la question ontologique : Qui sommes-nous ? (et non : Qui sommes-nous ?), et comment voulons-nous ? (et non : Que voulons-nous ?). Ainsi, nous établirons ensemble un troisième récit qui concerne la question de la justice et des droits humains, liant la libération de la Palestine à la libération des peuples arabes de l’absolutisme et de la dépendance.
Quand la gauche marocaine fera-t-elle une introspection et reviendra-t-elle à l’innovation de moyens pour clarifier une vision prospective qui lie la libération de la Palestine à la libération des peuples arabes de l’absolutisme et de la dépendance, comme une voie nécessaire ? Il est impossible d’ignorer la réalité que le destin national palestinien est étroitement lié au destin général arabe. Notre solidarité doit refléter cette vision globale et rationnelle. Cela nécessite de rationaliser la solidarité et de la transformer en un modèle durable qui nécessite un cadre théorique et intégrateur, fondé sur la pensée critique et prospective, prenant en compte les transformations futures et les défis régionaux et internationaux, en insistant sur le fait que la solidarité efficace ne doit pas être émotionnelle mais reposer sur des parcours stratégiques et réalistes pour réaliser la justice, le développement citoyen et durable, et établir des démocraties générales et internes.
Coordinateur de la dynamique de la mémoire conscience et gouvernance des récits sécuritaires.