Cette question s’impose à la lecture du rapport intitulé Digital News Report 2025, publié par l’Institut Reuters. Ce rapport dévoile des données qui méritent une réflexion approfondie dépassant le cadre de ce simple éditorial. Il constitue en soi un diagnostic gratuit que le gouvernement ferait bien de prendre au sérieux, car il dresse un état des lieux préoccupant du journalisme et des médias au Maroc.
Parmi les chiffres marquants du rapport, on note que 78 % des Marocains s’informent principalement via les réseaux sociaux, alors que seulement 28 % déclarent faire confiance aux médias traditionnels. En outre, 54 % des personnes interrogées affirment ne pas être capables de distinguer les vraies informations des fausses, et 52 % des influenceurs seraient responsables de la diffusion de contenus trompeurs.
Le point central du rapport réside dans une conclusion sans appel : une large partie de la population est convaincue que les médias d’information ne sont pas pleinement indépendants, qu’ils évitaient souvent les sujets sensibles et tendaient à relayer les points de vue du gouvernement. Voilà le cœur du problème.
Cela dit, une analyse objective impose de reconnaître que cette crise de confiance résulte en partie de la précarité dans laquelle évolue le secteur journalistique. Une autre part de responsabilité revient aux comportements du gouvernement lui-même. Mais le facteur déterminant réside dans la manière dont les autorités tutélaires traitent la presse. Le rapport pointe d’ailleurs la responsabilité directe du gouvernement dans la perte de confiance envers les médias.
Ce climat de défiance est aggravé par la volonté d’hégémonie sur le secteur médiatique, qui a uniformisé le discours dominant. Même les journalistes critiques se voient réduits au silence par la peur de sanctions ou par le chantage à la publicité et au financement des entreprises de presse. Dans ces conditions, comment un citoyen pourrait-il faire confiance à une presse qui se contente soit de chanter les louanges du pouvoir, soit de se taire ?
Cette situation nuit gravement au pays. Elle va à l’encontre des ambitions du Maroc de bâtir un État démocratique, fondé sur les droits fondamentaux, au premier rang desquels le droit à une information fiable et précise. Aujourd’hui, de nombreux citoyens, fuyant les médias traditionnels, se tournent vers les réseaux sociaux, un terrain fertile pour la désinformation, les rumeurs et les discours de haine.
Le rapport relève que YouTube (49 %) et Facebook (47 %) sont les deux sources d’information les plus utilisées au Maroc, suivies d’Instagram (32 %), TikTok (24 %) et les groupes WhatsApp (30 %). Par ailleurs, Telegram, application de messagerie chiffrée, attire de plus en plus d’utilisateurs.
Le rapport indique clairement où les Marocains passent leur temps, et d’où ils tirent leurs informations. Le danger réside dans la poursuite par le gouvernement d’une politique de marginalisation des médias sérieux, sapant ainsi le pluralisme médiatique sans lequel aucun État de droit ne peut exister. Le risque est la consolidation d’une dictature déguisée, appuyée sur une majorité numérique.