Certaines questions, posées parfois avec bonne foi ou naïveté, tournent autour de l’efficacité réelle d’une motion de censure contre le gouvernement. En effet, étant donné que ce dernier dispose d’une majorité « confortable », il semble évident qu’il ne chutera pas lors d’un vote parlementaire. Dès lors, pourquoi s’engager dans une initiative dont l’issue est connue d’avance ? Mais poser cette question, c’est ignorer l’esprit des lois, méconnaître la portée symbolique et politique d’une motion de censure, et sous-estimer la dynamique qu’elle peut créer.
Si le gouvernement raisonnait de cette manière, il n’aurait pas mobilisé autant d’efforts pour faire échouer cette initiative. Croire que l’éclatement de l’opposition, alors qu’elle était parvenue à des étapes avancées sur ce dossier, est dû uniquement à des divergences internes, sans influence de l’exécutif ou de sa majorité, c’est ne rien comprendre aux subtilités du jeu politique, ni aux manœuvres du « réseau des grands intérêts ».
Sur le plan pratique, le gouvernement jouit d’une majorité représentant plus des trois quarts des députés, ce qui le met à l’abri d’une chute institutionnelle, sauf en cas de retrait d’un composant majeur de la coalition sans qu’un autre ne le remplace. Il a pu faire passer des dizaines de lois, y compris des textes stratégiques, sans recourir à la participation des autres forces politiques, comme l’exige pourtant la Constitution.
Par exemple, l’adoption de la loi encadrant le droit de grève, texte controversé s’il en est, s’est faite sans concertation ni dialogue avec les syndicats concernés. Autrement dit, une loi aux implications profondes a été imposée grâce à la seule force des chiffres.
Mais alors, pourquoi un gouvernement aussi numériquement fort craint-il une motion de censure ? Pourquoi a-t-il déployé, via ses réseaux d’influence, une stratégie aussi efficace pour fragmenter et neutraliser l’opposition ?
Le gouvernement ne redoute pas une chute qui reste improbable. Ce qu’il craint vraiment, c’est le discours parlementaire critique. Ce qu’il redoute, c’est que les citoyens, attentifs aux débats institutionnels, découvrent à travers les interventions de l’opposition les véritables raisons pour lesquelles ce gouvernement mériterait d’être renversé si le nombre le permettait. En d’autres termes, la majorité actuelle ne garantit pas la légitimité politique, mais seulement la survie mécanique.
La manière dont cette majorité a été constituée représente, dès le départ, une menace pour le principe de la séparation des pouvoirs. Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a réussi un coup politique en ralliant à son parti, le Rassemblement national des indépendants (RNI), les deux partis arrivés en deuxième et troisième positions lors des élections législatives. Ce faisant, il a formé un bloc parlementaire quasi-imbattable.
Face à cette hégémonie, l’opposition s’est trouvée affaiblie. À l’exception du Parti du progrès et du socialisme, habitué aux hauts et aux bas, le Parti de la justice et du développement a subi une déroute électorale historique, passant de 127 à seulement 13 sièges. Quant à l’Union socialiste des forces populaires, elle a clairement affiché son intention de participer au gouvernement, ce qui l’a de facto exclue du camp de l’opposition. Le Mouvement populaire, traditionnellement ancré dans les gouvernements successifs, n’a pas non plus constitué un front solide.
Ainsi, affaiblie par ses blessures internes, l’opposition a été aisément neutralisée par Akhannouch, qui a su exploiter cette situation à son avantage. Voilà pourquoi, malgré l’apparente invulnérabilité du gouvernement, l’idée même d’une motion de censure suffit à le faire réagir avec nervosité.