Par Mustapha El Manouzi
Aujourd’hui, nous commémorons un souvenir qui n’est pas fait que de couleurs sur un tissu, mais de sang et de rêves dessinés sur des drapeaux portés par nos pères et grands-pères à une époque où brandir le drapeau marocain était un crime puni par le colonisateur. Ces mêmes drapeaux qui ont défilé lors des manifestations pour l’indépendance, trempés dans le sang des martyrs, sont les mêmes que nous hissons aujourd’hui dans nos institutions nationales. Alors, comment expliquer qu’une infrastructure sportive comme le « Stade d’Honneur » du Complexe Mohammed V soit inaugurée sans qu’un seul drapeau marocain n’y soit hissé ?
Ce n’est pas une simple négligence administrative, mais une blessure dans la mémoire collective. Ne pas hisser le drapeau aujourd’hui, c’est oublier qu’il fut jadis la cause de sacrifices et de pertes humaines. La responsabilité ici dépasse le cadre légal : elle est morale et historique. Comment exiger de nos jeunes générations qu’elles soient fidèles à la nation si nous-mêmes manquons aux fondements du respect envers ses symboles ?
Les drapeaux figurant sur les photos, extraits des archives familiales, ne sont ni décoratifs ni nostalgiques. Ils sont les témoins d’un pacte entre les vivants et les morts :
Ils témoignent que la liberté que nous vivons aujourd’hui n’a pas été offerte, mais achetée au prix du sang des innocents.
Ils rappellent que la dignité nationale n’est pas un simple slogan, mais un engagement quotidien mesuré à travers notre respect pour les symboles de l’État dans toutes les sphères.
Ils appellent à être à la hauteur des sacrifices du passé, et à ne pas céder dans la défense des droits du présent.
Le manquement à hisser le drapeau lors d’un événement sportif officiel – si cela est avéré – ne peut être réduit à une simple erreur administrative corrigée par un rappel à l’ordre. C’est une atteinte à un principe fondamental : on ne peut dissocier le sport de l’identité, ni l’avenir de la mémoire. Nous appelons à ce que toute entité ayant failli à ce devoir soit tenue pour responsable. Il ne s’agit pas ici d’un acte bureaucratique, mais d’un devoir de reconnaissance envers ceux qui ont façonné ce drapeau avec leur sang.
Aujourd’hui, nous élevons ces anciens drapeaux comme un message.
Aux responsables : « Craignez Dieu quant à la symbolique du sang que vous brandissez sur les bâtiments de l’État. »
Aux jeunes : « Préservez cet héritage, la lutte n’est pas finie, elle a simplement changé de forme. »
À l’histoire : « Nous resterons fidèles et rappellerons à tous que le drapeau élevé par le sang ne peut être rabaissé par la négligence. »
Le patriotisme n’est pas une encre dans une constitution, mais un sang dans les veines. Et si tu ne respectes pas ton drapeau aujourd’hui dans les moindres détails, comment le défendras-tu demain si le besoin se présente ?
On nous a dit que les maillots du Raja (verts) et du Wydad (rouges) pouvaient suffire. Nous avons répondu : nous ne savons de quelle couleur ont joué les deux équipes, mais une chose est sûre : le drapeau reste un symbole national inscrit dans la Constitution.
Et parce que l’occasion fait le symbole, ces drapeaux ont été sortis du coffre familial, ce qu’il reste de ceux autrefois conservés dans une boîte spéciale au club situé au 37, rue Caniban, là où fut plus tard construite l’immeuble aujourd’hui menacé de démolition. Ce lieu avait été offert par feu Haj Ali El Manouzi comme siège pour la section de l’Union Socialiste des Forces Populaires lors des élections communales de 1976.
(À noter que c’est dans cette circonscription que le défunt Haj Ali El Manouzi et son compagnon Moulay Abdelssalam El Ghazouani avaient été élus sous la couleur « pierre » aux élections municipales de Casablanca en 1960, alors qu’El Manouzi siégeait sous la présidence de feu Maâti Bouabid lorsqu’il était unioniste).
El Manouzi fut élu dans la même circonscription lors des élections locales d’Aïn Diab en 1976, peu après sa sortie de la prison publique, où il fut transféré après un long séjour au centre de détention secret de Corbis, depuis les enlèvements du 3 mars 1973, puis lors des législatives de 1977. Le siège fut ensuite déplacé à la Kissariat Al Baraka à Derb Omar en 1979, puis à proximité du cimetière hébraïque (Al Miyara) dans le quartier du nouveau Bahira (Arsat Lalla Rahma).
Paix à l’âme du militant Lachheb, le vendeur d’olives, du militant Mohamed Fellahi, du Haj Ali El Manouzi, et de tous ceux dont la liste est aussi longue que le souffle de la lutte, l’ampleur de la résistance et l’esprit patriotique qui a cruellement manqué à cette célébration sportive.
C’est là la troisième faute de la semaine, après celle de la commune ayant perdu le registre du patrimoine collectif de Casablanca dans la poussière soulevée par les bulldozers démolissant la mémoire partagée de la ville et ses dimensions nationales.