Les élections ne sont qu’un mécanisme démocratique destiné à choisir ceux qui géreront les affaires publiques. Chez nous, elles aboutissent à la victoire d’un parti politique arrivé en tête, dont le chef du gouvernement est nommé conformément à la lettre de la Constitution – ce qui ne signifie pas forcément que ce sera le chef du parti. Rappelons que Saâdeddine El Othmani n’avait été élu secrétaire général du PJD qu’après avoir été nommé chef du gouvernement, suite à l’échec d’Abdelilah Benkirane à former une majorité.
Or, ce processus électoral, censé n’être qu’un outil de sélection, est devenu chez nous le cœur du jeu politique, sa bataille centrale. Ce n’est plus un simple mécanisme, mais une série de guerres électorales ininterrompues, souvent impitoyables, où tous les moyens sont permis, y compris les coups bas.
Il a suffi qu’un magazine étranger évoque le nom d’un possible futur chef du gouvernement pour qu’une véritable guerre éclate. Nous ne prétendons pas connaître les intentions derrière cet article – s’il était orienté, commandité ou purement spéculatif – mais au fond, il ne s’agissait que d’une hypothèse, qui ne justifie en rien un tel déchaînement.
Dès qu’un ballon d’essai est lancé, une armée de « mouches électroniques » est mobilisée pour livrer une bataille féroce contre l’adversaire. Et ces derniers temps, c’est au sein même de la majorité que les affrontements sont les plus virulents, chaque parti rêvant de se hisser en tête et de diriger ce qu’on appelle déjà le « gouvernement du Mondial ». Ainsi, le virtuel déborde sur le réel.
Nous en sommes arrivés à un point où, au lieu d’acheter de fausses vues sur les réseaux sociaux, comme cela se fait déjà, certains recourent désormais à ce qu’on pourrait appeler une « présence fictive », connue sous le nom de « pack salle ».
Les courtiers électoraux ont franchi de nouveaux paliers. Aujourd’hui, ils proposent à certains dirigeants de partis – incapables de mobiliser citoyens et adhérents – de louer des salles toutes équipées : chaises, traiteur, boissons… et même le public.
Le leader politique, vivant dans l’illusion de s’adresser à un vrai public, se voit offrir par ces intermédiaires une salle remplie d’auditeurs fictifs, qui l’écoutent et applaudissent à la fin de chaque paragraphe. La télévision filme la scène, montrant un grand rassemblement populaire. Le dirigeant se convainc alors de cette fausse réalité… qui ne changera rien au jour du vote, lequel obéit à d’autres logiques.
Ce modèle vers lequel dérive la vie politique et partisane au Maroc représente une réelle menace pour la démocratie – une démocratie encore jeune, fragile, qui a besoin de la vigilance et de l’engagement de tous. Le roi Mohammed VI a exprimé à plusieurs reprises la volonté du Maroc d’avancer dans la voie démocratique, une voie consacrée notamment par la Constitution de 2011, qui a donné un rôle central aux partis politiques, la formation du gouvernement étant conditionnée par les résultats des urnes.
Mais il est devenu évident que le problème ne réside pas dans les institutions elles-mêmes, mais dans les partis, qui ne semblent pas vouloir bâtir un véritable système d’alternance. Chacun aspire à une domination totale.
N’est-ce pas celle qui a dit : « Ceux à qui cela ne plaît pas peuvent partir » qui résume le mieux cet état d’esprit hérité du fameux slogan d’antan : « Le Maroc est à nous, pas aux autres », une formule combattue par le Dahir des libertés publiques, et remplacée aujourd’hui par une nouvelle version : « Le Maroc est au Rassemblement, pas aux autres »