Ce qui se passe à Aït Bouguemez, dans la région d’Azilal, n’est pas un incident passager, mais bien un « choc » qui interpelle le gouvernement. Une fois encore, nous sommes contraints de rappeler qu’il existe deux Maroc sous un même toit. Politiquement, il y a un État démocratique, qui a adopté une Constitution issue d’un référendum et élaborée de manière participative. Cet État a établi les fondements d’institutions démocratiques, conféré au gouvernement des prérogatives inédites, et misé sur la séparation des pouvoirs. Mais, sous ce même toit, règne une « dictature de la majorité ».
Dans ce même Maroc coexistent deux réalités : un pays qui avance et se développe, et un Maroc profond relégué en marge de l’histoire et du développement, comme s’il n’existait pas. Pourtant, ses habitants ne réclament que des choses élémentaires : le raccordement au réseau routier, l’accès à l’eau potable dans des zones où sévit la soif, une école communautaire et un dispensaire. Leur liste de revendications ne dépasse pas ce minimum vital.
Soyons clairs : il est heureux et encourageant de voir le Maroc progresser à grands pas. Nul ne peut nier que le pays dispose désormais d’un train à grande vitesse qui reliera Tanger à Marrakech, avec une ligne encore plus rapide. Cela contribue à rapprocher les régions, un facteur indispensable au développement économique. Il est tout aussi positif d’élargir le réseau autoroutier pour désenclaver des zones longtemps isolées et connecter entre elles des régions stratégiques sur le plan agricole ou touristique.
C’est aussi une bonne chose de voir fleurir des infrastructures modernes et des chantiers sportifs de grande envergure en vue de la Coupe du monde 2030. Ce sont là des réalisations majeures qu’il faut saluer, valoriser et même multiplier, tant en quantité qu’en qualité.
Cependant, une répartition équitable des richesses et le principe de justice territoriale révèlent une inégalité flagrante entre deux Maroc : deux niveaux de citoyenneté vivant sous un même toit. Tandis qu’un Maroc avance à vive allure, un autre se contente de survivre, dans l’attente des conditions minimales d’une vie digne.
Ce qui se passe à Aït Bouguemez, ces marches qui ressemblent à un train sans fin, doivent être perçues comme une alarme. Une alarme dont les sons « rugueux » doivent parvenir aux oreilles du gouvernement. Faute de quoi, viendra un jour où personne ne pourra freiner cette vague grondante, qui est encore aujourd’hui « raisonnable » et conduite par des esprits sages. Mais qui nous garantit qu’elle ne déraillera pas un jour, emportant tout sur son passage ?
Le gouvernement cherche-t-il la rupture ? Laisser le Maroc profond livré à lui-même, gérer seul ses besoins, est-ce une solution viable ? Le Maroc profond a un droit légitime à la justice territoriale. Aït Bouguemez, Anfgou et d’autres localités similaires doivent pouvoir bénéficier des mêmes infrastructures de base que n’importe quelle autre région du pays. À défaut, c’est tout le pays qui s’avance dangereusement vers le précipice. Que Dieu nous en préserve.