Que nul ne pense sortir vainqueur d’un combat ayant trait à une loi d’intérêt national. Parfois, la loi accorde certains pouvoirs, mais ceux-ci peuvent s’avérer inopportuns dans un contexte de recherche de consensus. Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, a rejeté tous les amendements proposés par l’opposition parlementaire à l’article 7 du Code de procédure pénale, qui visait à élargir les prérogatives des associations pour ester en justice dans les affaires de finances publiques.
Le veto opposé par le gouvernement, fort de sa majorité, signifie : « Le droit d’ester en justice n’est pas pour tous. »
Or, une bonne législation est celle qui émerge d’un consensus répondant aux attentes de tous. Soumettre des lois durables à la seule logique du vote majoritaire ne peut que générer tensions et conflits.
Il est vrai que le gouvernement a le droit, garanti par la loi, de recourir à sa majorité numérique pour faire adopter les projets de loi qu’il propose. Toutefois, il n’est pas dans l’intérêt du pays de faire passer des lois sans conviction ni consensus, comme ce fut également le cas avec la loi organique relative au droit de grève, adoptée sans concertation.
Parler de consensus ne signifie pas geler les rôles respectifs de la majorité et de l’opposition, mais plutôt se conformer à la logique constitutionnelle prônant la participation dans la prise de décision. La Constitution, considérée comme la norme suprême à laquelle se réfèrent tous les Marocains, a été adoptée selon une démarche participative, impliquant l’écoute de représentants de toutes les sensibilités du pays, à l’exception de ceux qui ont refusé de participer.
Pourtant, dans toutes ses décisions, le gouvernement agit selon la logique du poids numérique. Certains députés de la majorité sont même allés jusqu’à dire à leurs collègues de l’opposition – que la Constitution ne désigne jamais comme « minorité » – : « Faites ce que vous voulez, de toute façon, nous voterons et adopterons les textes. »
Le ministre s’est accroché à deux conditions : la reconnaissance de l’utilité publique et l’obtention d’une autorisation d’ester en justice de la part du ministère de la Justice. Il considère que l’assouplissement de ces conditions ouvrirait la voie à ce qu’il qualifie de « chantage », citant en exemple une plainte composée de dizaines d’accusations contre un haut responsable, qu’il a jugée « vide » et irresponsable.
Dans un ton ferme, le ministre a déclaré : « Les fonds publics ne sont pas en libre accès ; ce qui l’est, c’est le chantage. » Il a ajouté : « Les associations ne peuvent pas disposer du pouvoir de diffamation et de nuisance sans cadre réglementaire. »
Ces deux conditions confèrent au ministère un contrôle total sur le droit de recours en justice. Or, l’obtention du statut d’utilité publique est en soi très difficile, ce qui en fait un obstacle quasi insurmontable. Et même si une association parvenait à obtenir ce statut, elle resterait tributaire de l’autorisation du ministère de la Justice, bien que ses prérogatives aient été réduites depuis la séparation du Parquet.
Ce dispositif revient, comme disent les Marocains, à dire « va te faire broyer » : autrement dit, aucune association ne pourra poursuivre les auteurs présumés de détournement de fonds publics.
Sur le fond, le ministre a usé d’un sophisme dangereux : le fait qu’une plainte reçue se soit révélée vide ne signifie pas que toutes les plaintes le sont. Quel est le lien entre la validité d’un dossier et le statut d’utilité publique ? Une association reconnue d’utilité publique peut très bien déposer un dossier vide, et l’inverse est également vrai.
La présence d’individus mal intentionnés dans un secteur donné ne devrait jamais priver les autres de leur droit légal. De même, le fait que plus de 30 parlementaires soient poursuivis pour corruption ou trafic de drogue ne nous donne pas le droit d’exiger la dissolution du Parlement.