Nous tenons d’emblée à préciser que ce qui suit est un point de vue personnel, une lecture critique du projet de loi présenté par le ministre de la Culture, de la Jeunesse et de la Communication devant la commission compétente à la Chambre des représentants. Il ne s’agit nullement d’une opinion exclusive ou fermée à d’autres perspectives, mais elle rejoint néanmoins un large courant d’opinions qui considèrent ce nouveau projet comme une véritable « régression démocratique », selon les termes de l’ancien ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi. Il ne reste plus un acteur concerné par le dossier sans avoir exprimé des réserves substantielles à l’égard de cette loi.
Le ministère, dans la préparation de ce texte, a fait preuve d’une opacité totale : aucun professionnel du secteur n’en a eu connaissance avant la communication officielle issue du Conseil de gouvernement, dans laquelle figurait à l’ordre du jour l’examen de ce projet. Aucune concertation n’a été menée avec les organisations professionnelles ou syndicales. Cette démarche solitaire jette le doute sur ceux qui aujourd’hui défendent ce projet, puisque le ministère a traité ce dossier de manière unilatérale, en élaborant une loi taillée sur mesure.
L’ancienne loi, malgré ses défauts, a été élaborée durant une période étalée sur dix années, depuis le mandat du ministre Nabil Benabdellah jusqu’à celui de Mustapha El Khalfi. C’est à travers l’expérience pratique qu’en ont été révélées certaines lacunes, que nul n’avait anticipées durant le premier mandat du Conseil. Il aurait été plus pertinent de préparer une réforme bien avant, afin que les élections se tiennent à temps. Or, cette fois-ci, la loi a été préparée uniquement par le ministère, et il est difficile de savoir si quelque professionnel que ce soit a été consulté.
Il s’agit là du premier vice fondamental de ce projet, qui appelle à son retrait et à sa refonte selon la méthode participative que le Maroc a toujours privilégiée. C’est d’ailleurs cette approche qui a présidé à l’élaboration de la Constitution, fruit d’une large consultation nationale impliquant partis politiques, syndicats, organisations professionnelles, associations de la société civile et personnalités influentes.
Quant au contenu du projet actuellement soumis au débat, à la fin de la session législative, il constitue une régression démocratique manifeste. La démocratie a été consacrée comme principe constitutionnel fondamental, un choix irréversible pour le Maroc. Et parmi les règles essentielles de toute démocratie figurent le droit de vote et l’égalité devant ce droit.
Or, ce projet divise les journalistes en catégories inégales : une catégorie — celle des journalistes — élit ses représentants au sein du Conseil à travers des élections, tandis qu’une autre — celle des éditeurs — voit ses représentants désignés selon le texte proposé. Le Maroc a pourtant rompu avec la logique de la nomination dans les institutions où elle n’a pas lieu d’être. L’attribution par mandat s’apparente à une forme de nomination, d’autant que la loi ne précise aucunement la procédure de ce mandat.
Le Maroc avance résolument dans la construction de son modèle démocratique. Il n’y a aucune place pour les reculs ou les retours en arrière, qui ne feraient que compromettre les acquis nationaux, tant sur le plan interne qu’international. Tout abandon des principes et mécanismes démocratiques constitue une atteinte à l’image du pays, image dont dépendent des secteurs vitaux comme la diplomatie et l’investissement.