Par Mohamed Afri
« C’est l’année du boucher » : tel est le refrain, teinté de regret et de désolation, qu’ont repris en chœur, pendant deux semaines, nombre de petits et grands éleveurs, et qui a été relayé par la majorité des citoyens, et qu’ils continueront à répéter jusqu’au jour de l’Aïd al-Adha, célébré ce samedi au Maroc, correspondant au 10 Dhoul-Hijja.
En réalité, et au vu du dynamisme et de l’effervescence exceptionnels qui ont animé les bouchers ces deux dernières semaines — avec un pic ces derniers jours — face à l’engouement démesuré des citoyens pour la viande rouge, individuellement ou en groupes, dans des files d’attente presque similaires à celles que l’on voit dans certains pays arabes pour se procurer du lait ou du poulet une fois par semaine, on ne peut que constater que, cette année, c’est bien « l’année des bouchers ».
Après plusieurs années où les éleveurs et les intermédiaires (les « chenaqa ») régnaient en maîtres sur le marché du sacrifice, faisant la pluie et le beau temps sur les prix et la qualité, profitant de la liberté totale des prix en l’absence de tout contrôle ou de lois répressives pour protéger le consommateur, cette année a marqué un tournant.
Aujourd’hui, la roue a tourné : la décision d’annuler l’abattage, prise pour préserver le cheptel national et soulager les citoyens dans leur pouvoir d’achat, a paradoxalement permis aux bouchers de profiter pleinement de l’engouement aveugle des consommateurs pour la fête. Cela, bien entendu, en l’absence de mesures pour protéger ces mêmes citoyens contre la cupidité des bouchers, qui ont augmenté les prix à leur guise, faute de contrôles réguliers des comités de surveillance et d’inspection.
Nous avons déjà dit — et nous le répétons — que le consommateur marocain, par son comportement consumériste marqué par la « gloutonnerie », est lui-même responsable de l’envolée des prix, participant à déséquilibrer l’offre et la demande. Le comportement maladif de certains consommateurs, se ruant sur les abats ou les « douara » (tripes) et sur la viande en général, a permis aux bouchers et aux acteurs du secteur d’enflammer les prix. Cette situation s’est accentuée à cause de la réduction de l’offre, aggravée par la fermeture désordonnée des marchés à bestiaux pour se conformer à la décision d’annuler l’abattage, mais malheureusement sans notifications officielles précisant les modalités de fermeture, qui auraient pourtant pu être bénéfiques à la fois pour les citoyens et pour le cheptel national.
Si l’on doit adresser un reproche aux citoyens pour leur comportement dans ce contexte — en contribuant à « mettre de la graisse sur le dos du boucher » —, il faut surtout pointer du doigt Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, qui fut pendant une décennie et demie ministre de l’Agriculture et premier responsable du Plan Maroc Vert, censé développer le cheptel, assurer l’autosuffisance en viande (notamment ovine et bovine) et garantir l’autosuffisance de toutes les productions agricoles.
Akhannouch reste également responsable des dysfonctionnements du secteur productif, marqué par l’irrégularité et le laxisme dans ses rôles productifs, notamment pour la viande. Il est inacceptable, dans un pays agricole comme le Maroc, avec son Plan Maroc Vert, d’en arriver à importer des céréales (devenu une habitude), des moutons, des bovins, et même de la viande, au point de devenir la risée des citoyens d’autres pays — qui, eux, n’ont pas le dixième des richesses naturelles, agricoles et hydrauliques, ni l’expertise et les compétences du Maroc.
Le gouvernement d’Akhannouch, avec son chef, son ministre de l’Agriculture et l’ensemble de ses membres, porte l’entière responsabilité de la crise du déficit en moutons, qui a conduit à la décision d’annuler l’abattage. Car c’est bien sous ce gouvernement, et pas sous un autre, que la crise s’est aggravée et que les barons du bétail se sont renforcés, détournant les subventions destinées au secteur à leur profit, pour un résultat nul. C’est également sous ce gouvernement que les barons des carburants, des céréales, de la farine subventionnée et de l’immobilier ont prospéré et se sont consolidés.
Dès lors, il n’est pas surprenant de voir, sous ce gouvernement, les bouchers prendre le dessus et de faire de cette année « l’année des bouchers » pendant que le gouvernement reste les bras croisés, spectateur passif.