Après que l’opposition a convenu de la nécessité de présenter une motion de censure pour renverser le gouvernement, de nombreuses plumes ont commencé à en parler avec ironie, estimant que la majorité dont dispose le gouvernement garantit sa survie quelles que soient les circonstances, et que cette motion ne sera que formelle et ne le renversera donc pas. Ainsi, selon cette logique, elle serait inutile puisqu’elle ne produira aucun résultat concret.
Mais la vie politique ne se résume pas aux résultats tangibles. Elle repose aussi sur les symboles. Et une motion de censure, même si elle n’atteint pas l’objectif explicite de son intitulé, demeure un exercice démocratique sain. C’est un signe de vitalité de la démocratie au Maroc que de voir une telle motion déposée contre un gouvernement intransigeant, fort de sa majorité écrasante, qui use de toutes les formes de répression à l’encontre de ses opposants, jusqu’à détourner les outils démocratiques pour en faire des instruments de violence politique.
Le principal effet que peut produire une motion de censure — sauf dans l’éventualité où l’un des composants de la majorité retournerait sa veste — est de faire entendre la voix de l’opposition, que le gouvernement s’efforce de faire taire par tous les moyens. La motion de censure vise ainsi à rétablir cette voix dans son rôle naturel, celui que lui confère la Constitution.
Le gouvernement actuel refuse d’admettre le rôle fondamental de l’opposition, sans laquelle la séparation des pouvoirs ne peut exister. En effet, la majorité au gouvernement étant aussi majoritaire au Parlement, la frontière entre le pouvoir exécutif et législatif s’efface en l’absence d’une opposition forte et active.
Avant même d’aborder l’organisation des institutions, et juste après le préambule sur l’identité de l’État marocain, la Constitution parle de l’opposition dans son article 10. Elle exige qu’on lui accorde tous les moyens nécessaires pour exercer ses fonctions constitutionnelles, législatives et de contrôle. Elle insiste aussi sur le fait que la présidence de la Commission de la justice et de la législation à la Chambre des représentants — la plus importante des commissions permanentes — doit lui revenir. Tout cela vise à assurer un rôle essentiel que le gouvernement cherche manifestement à lui retirer.
C’est pourquoi, ni nous ni personne d’autre n’attendons de cette motion qu’elle renverse un gouvernement qui détient les trois quarts des sièges à la Chambre des représentants. Il survivra au vote, mais tombera symboliquement.
Le gouvernement en est même venu à contrôler le rôle de contrôle du Parlement, non seulement grâce à sa majorité numérique, mais aussi en supervisant les questions orales et écrites. Il manipule la procédure de questionnement, bloque les interventions des députés et des conseillers parlementaires, en les soumettant à l’approbation de la présidence, du bureau de la Chambre et du ministère chargé des relations avec le Parlement. Ainsi, les questions sont soumises au bon vouloir du gouvernement et de ses ministres.
Dans ce contexte, la motion de censure devient une tribune pour dénoncer les dysfonctionnements du gouvernement, qui mériterait, si la majorité reconnaissait son effondrement, d’être renversé. Même si cela ne se produit pas, la motion permettra de révéler la réalité de la situation. Elle représente donc un exercice démocratique et un outil tribunitien pour exposer les abus d’un gouvernement contre lequel il ne reste plus d’autre moyen d’action.