Qui a fait glisser le conflit politique au bas de la scène politique ? Quelle est l’entité qui a œuvré à sa chute libre ? Comment le débat s’est-il transformé, passant des grandes questions nationales à des discussions autour du concept des relations sociales, ou ce qu’on appelle désormais « le boycott social » ?
Ces questions font écho aux récentes déclarations d’Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), annonçant l’intention de son parti d’inviter des forces internes et externes, à l’exception de Aziz Akhannouch, chef du gouvernement et président du Rassemblement national des indépendants (RNI), et de Driss Lachgar, premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Une première, car en général on publie la liste des invités, non celle des exclus. Mais cette déclaration révèle des arrière-plans et des raisons qui façonnent aujourd’hui la scène politique.
Ce que nous voulons dire ici n’est pas une tentative de disculper un parti qui a dirigé le gouvernement pendant dix ans — en l’occurrence le PJD — mais plutôt de replacer les choses dans leur contexte. Il se peut que l’exclusion de Driss Lachgar soit liée aux élections de 2016, car Benkirane n’a pas oublié que Lachgar avait pris parti pour Akhannouch dans ce qui fut appelé le « blocage politique », empêchant ainsi le leader islamiste d’obtenir un second mandat à la tête du gouvernement, poste qu’a finalement occupé Saâdeddine El Othmani. Mais quelle est la véritable raison du « boycott social » d’Aziz Akhannouch ?
Il est évident que tout parti a le droit d’inviter ou de ne pas inviter les partis et organisations de son choix. Cependant, annoncer publiquement à l’avance qu’on n’invitera pas certaines formations politiques constitue un précédent dans l’histoire de la scène politique.
Même à l’époque des plus grandes tensions entre la droite et la gauche, ou entre l’opposition et ce qu’on appelait les partis administratifs, les partis politiques marocains ne manquaient pas de courtoisie dans leur comportement. Alors qu’est-ce qui a changé pour qu’on en arrive là ?
Le PJD reste un parti d’opposition, et peut donc adopter une posture parfois marquée par la surenchère et la démagogie. Pourtant, même le parti qui voulait l’éradiquer s’est réconcilié avec lui.
Le PJD semble aujourd’hui convaincu qu’il est nécessaire de refuser toute « poignée de main » avec Akhannouch, qui a instauré une scène politique entachée d’un excès de pouvoir. La majorité qu’il dirige refuse à l’opposition des droits que la Constitution lui garantit, et cherche à la reléguer à un statut qui ne correspond pas à celui que lui confère le texte fondamental du pays, en s’appuyant sur une majorité numérique qui ne représente pas une majorité réelle fondée sur une convergence de programmes.
La pollution de la scène politique a commencé le jour où une alliance a été conclue entre trois partis sans aucune cohérence programmatique. Le comble, c’est que le secrétaire général du Parti Authenticité et Modernité (PAM) de l’époque accusait alors Akhannouch de s’être emparé de 17 milliards de dirhams — il l’a affirmé publiquement, dans des interviews avec les médias, et même lors de ses apparitions à la télévision publique — avant de devenir son allié et ministre, sans jamais revenir sur ses propos.
Nous estimons que la manière dont le chef de la majorité traite les partis politiques, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, a engendré ce « boycott social » qu’a adopté Benkirane avant son prochain congrès, dans une tentative de proclamer une forme de « rébellion ».