Depuis plusieurs semaines, plusieurs quartiers emblématiques de Rabat sont le théâtre de démolitions massives dans le cadre du nouveau plan d’aménagement urbain, adopté fin janvier et publié au Bulletin officiel le 20 février. Cette opération, menée au nom du développement urbain, suscite l’indignation des habitants qui dénoncent des procédures illégales et un manque de transparence.
Des témoignages bouleversants : « Où allons-nous aller ? »
Derrière les murs détruits, ce sont des vies entières qui se retrouvent bouleversées. Une résidente, visiblement éprouvée, exprime son désarroi : « Où allons-nous partir ? Nous avons grandi ici, nos enfants y sont nés, et on nous demande de tout abandonner du jour au lendemain. »
Pour ces familles, ce n’est pas seulement une question de logement, mais un véritable déracinement. « Chaque coin de rue porte nos souvenirs. Ce quartier, c’est notre histoire, notre identité. Nous ne pouvons pas tout laisser derrière nous comme si cela n’avait aucune valeur, » confie un quinquagénaire.
Un cadre légal contourné ?
Lors d’une conférence de presse, les conseillers de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) – Farouk Mahdaoui, Omar Hiyani et Hind Benaamrou – ont vivement critiqué la manière dont ces opérations sont menées. Ils pointent du doigt des « irrégularités flagrantes », notamment dans les quartiers de l’Océan, Saniya Gharbiya et Douar Al Askar.
Omar Hiyani dénonce un processus précipité : « Les expropriations ont commencé avant même la publication officielle du plan d’aménagement. C’est une violation claire des procédures légales. » Il ajoute que l’enquête publique, normalement obligatoire pendant 60 jours, n’a pas été réalisée, privant ainsi les habitants de tout recours légal avant la démolition de leurs logements.
Des actions en justice en préparation
Face à ce qu’ils qualifient de « passage en force », plusieurs propriétaires envisagent d’intenter des actions en justice contre la municipalité. Omar Hiyani avertit que ces procédures risquent d’alourdir les finances publiques : « Si ces expropriations sont jugées illégales, la municipalité devra verser des indemnités conséquentes. La Constitution est claire : la propriété privée est protégée et ne peut être violée sans un cadre légal précis. »
Farouk Mahdaoui rappelle également que le tribunal administratif a déjà annulé des décisions similaires par le passé en l’absence de justification valable de l’intérêt public. Il soulève même des doutes sur les véritables bénéficiaires de ces terrains : « Qui profite réellement de ces démolitions ? Des rumeurs circulent déjà sur de grands projets immobiliers privés. »
Un silence politique préoccupant
Malgré la colère croissante des habitants, la majorité des partis politiques restent silencieux sur la question. Pour Omar Hiyani, ce mutisme traduit une soumission aux décisions des autorités locales : « Dès que la municipalité décide quelque chose, personne n’ose contester. Où est la voix des citoyens ? »
La situation est particulièrement préoccupante à Douar Al Askar, un quartier historique où vivaient de nombreuses familles d’anciens combattants. Ces dernières ont été déplacées brutalement, parfois en pleine année scolaire, vers des zones périphériques comme Aïn Atiq ou Tamesna, sans solution adaptée. « Ils sont traités comme des indésirables, déplacés sans considération pour leur vie quotidienne ou leurs besoins essentiels, » s’indigne Mahdaoui.
Un développement urbain à quel prix ?
Si les élus de la FGD affirment ne pas s’opposer au développement de la ville, ils dénoncent une approche autoritaire qui méprise les droits fondamentaux des citoyens. « Nous voulons une ville moderne, mais pas au détriment des habitants et de leur dignité, » insiste Farouk Mahdaoui.
Un habitant du quartier Saniya Gharbiya, dont la maison a plus de 89 ans, exprime sa colère : « Ce bâtiment fait partie du patrimoine. Comment peut-on justifier sa destruction sans consultation ni compensation équitable ? »
Tandis que les bulldozers continuent d’avancer, l’angoisse grandit dans d’autres quartiers comme Yaacoub Al-Mansour, Al-Akkari ou At-Taqaddoum. Pour de nombreux habitants, ce projet de modernisation, censé améliorer leur quotidien, est devenu un véritable cauchemar.