Par Mohamed Afri
L’assassinat brutal d’une professeure de formation professionnelle par un stagiaire n’est pas seulement un drame humain, mais le symbole d’un meurtre collectif infligé à tout le système éducatif marocain : de l’enseignement fondamental à l’université, en passant par la formation professionnelle. Ce drame est une mise en scène macabre, offerte sous les yeux de l’opinion publique internationale, déjà bien consciente de la faiblesse chronique de l’éducation au Maroc, comme l’indiquent les classements mondiaux plaçant le pays en bas de l’échelle, aux côtés de nations ravagées par les guerres et les conflits internes. Pourtant, le Maroc jouit d’une stabilité politique et sécuritaire notable et affiche même de bons résultats dans plusieurs secteurs. Cette tragédie vient ainsi donner une forme de certificat de décès de l’école marocaine, à entériner par la communauté internationale.
Le choc causé par cet acte barbare n’a fait qu’aggraver le malaise déjà ressenti par l’ensemble des Marocains, exaspérés par la dégradation du niveau d’enseignement et l’aggravation des risques dans les établissements. Les enseignants, toutes disciplines confondues, ont été particulièrement touchés, d’autant plus que l’absence des responsables du secteur – ministres de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle – aux funérailles de la défunte a été perçue comme une insulte supplémentaire, un signe d’indifférence criante envers une profession qui a pourtant toujours été porteuse de nobles valeurs.
Depuis l’indépendance, le Maroc a multiplié les réformes, les stratégies, les plans d’urgence et les budgets colossaux en faveur de l’enseignement, censé être un levier de développement, d’investissement et de cohésion sociale. Et pourtant, malgré les milliards dépensés, le système reste figé, incapable d’assurer ni développement, ni justice sociale. Il est devenu une machine à produire des chômeurs, des marginaux, voire des délinquants. Et même ceux qui parviennent à finir leur parcours universitaire le font souvent sans compétences concrètes, sans savoir-faire, sans capacité d’intégration professionnelle ou sociale. Quant aux élèves décrocheurs, ils sont livrés à la rue, à la délinquance, aux vices et, finalement, à la prison ou aux centres de rééducation.
Malgré les alternances politiques, aucun gouvernement n’a pu redresser la barre. Les statistiques sont accablantes. Les partis politiques, qui ont produit des générations de responsables depuis l’indépendance, ont été incapables de diagnostiquer les vrais maux du système éducatif. Pire, ils ont souvent contribué à sa dégradation. Ces mêmes partis – et les gouvernements qu’ils ont dirigés – ont souvent agi en fossoyeurs de l’école publique, en favorisant l’enseignement privé. Certains ministres et responsables, parfois chefs de partis ou militants politiques, sont également propriétaires d’écoles privées. Ce conflit d’intérêts flagrant a mené à un déséquilibre structurel, où les intérêts personnels ont été placés au-dessus de l’intérêt national.
Pour de nombreux experts et observateurs, la tragédie de la professeure assassinée est le symptôme d’une fragilité psychologique grandissante chez les élèves et les étudiants. Une fragilité souvent liée à un environnement familial délabré, sur le plan culturel et économique. Mais ces arguments ne sauraient cacher la lumière du soleil : le mal est d’abord politique, avec une école devenue lieu de violence au lieu d’être espace de valeurs et de savoir.
Les scandales de harcèlement sexuel contre des étudiantes, les affaires de « notes contre faveurs », la pédophilie dans les transports scolaires – souvent étouffées ou classées en silence – montrent qu’il ne s’agit pas de simples cas isolés, mais d’un système malade. À cela s’ajoute l’ascension d’individus sans éducation, d’opportunistes et de repris de justice dans les postes de pouvoir, envoyant un message désastreux à la jeunesse : que l’école n’est qu’une perte de temps, un fardeau pour la famille, et que la réussite passe ailleurs. Dans ce contexte, l’enseignant devient une cible facile, un exutoire à la frustration sociale.
Que Dieu nous épargne le pire…