À l’approche de la Coupe du monde 2030 que co-organisera le Maroc, le pays vit une transformation d’envergure. Grands chantiers d’infrastructures, investissements structurants, afflux de capitaux… l’économie nationale s’accélère. Dans ce contexte, l’entreprise marocaine est plus que jamais au centre du jeu. Elle est appelée non seulement à livrer dans les délais et aux standards requis – ce dont elle est largement capable – mais aussi à repenser son rôle dans la société.
Les chiffres le confirment : les performances économiques progressent, les chiffres d’affaires s’améliorent, et la compétitivité gagne du terrain. Mais au-delà des résultats financiers, c’est désormais l’impact global de l’entreprise qui est scruté : son rapport au travail, à l’environnement, à la communauté locale. L’entreprise d’aujourd’hui n’est plus un simple outil de production, elle devient un acteur du vivre-ensemble, un levier de cohésion sociale et de durabilité.
Historiquement moteur de l’innovation et de la croissance, l’entreprise est appelée à jouer un rôle élargi. Un rôle qui conjugue efficacité économique et justice sociale. Car le succès ne se mesure plus uniquement à la rentabilité, mais aussi à la capacité de l’entreprise à garantir des conditions de travail décentes, à promouvoir l’égalité, et à contribuer à une croissance inclusive.
Comme le rappelle l’homme d’affaires américain John Rogers :
“Une entreprise ne peut être grande dans le marché si elle ne l’est pas dans la société.”
De la RSE aux droits humains : un cadre plus exigeant
Le Maroc a vu se développer ces dernières années de nombreuses initiatives en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Soutien à l’éducation, engagements environnementaux, partenariats locaux… Ces démarches volontaires sont louables. Toutefois, elles restent souvent ponctuelles, et ne touchent pas toujours le cœur de l’activité.
Depuis 2011, les Nations Unies ont introduit un cadre plus structuré : celui des entreprises et des droits humains (BHR). Ce référentiel va au-delà de la RSE : il engage juridiquement et éthiquement l’entreprise à prévenir toute atteinte aux droits humains dans ses pratiques internes comme dans ses relations externes – avec ses fournisseurs, ses sous-traitants, et son environnement.
Trois grands principes guident ce cadre :
1. Le devoir de l’État de protéger contre les violations des droits humains ;
2. L’obligation pour les entreprises de les respecter activement ;
3. Le droit pour les personnes affectées à un recours effectif.
Adopter ce cadre, c’est passer d’une logique de bonne volonté à une culture de responsabilité systémique. Cela implique de former les acteurs économiques, d’adapter les politiques publiques, et de considérer les droits humains comme un pilier du développement.
Une dynamique à renforcer
De plus en plus d’entreprises marocaines prennent conscience de cette évolution. Elles s’engagent dans des démarches de conformité, mettent en place des politiques internes en matière de travail décent, et cherchent à mieux intégrer les dimensions sociales et environnementales. Ces signaux positifs méritent d’être salués et encouragés.
Mais les écarts restent réels selon les secteurs et les régions. Certaines fragilités subsistent, comme la précarité de l’emploi, le déficit de dialogue social ou encore l’insuffisance des dispositifs de santé et sécurité. Ces défis concernent parfois des entreprises impliquées dans des projets publics ou stratégiques.
D’où la nécessité de consolider les mécanismes d’accompagnement, de renforcer l’inspection du travail, et surtout de créer un cadre incitatif clair : celui qui valorise les entreprises engagées, et conditionne l’accès aux marchés publics à des critères de responsabilité sociale avérés.
Faire des droits humains un levier de compétitivité
Respecter les droits humains n’est pas un luxe ou un frein au développement. C’est au contraire une source de performance durable. Une entreprise qui valorise ses salariés, qui anticipe les risques sociaux, qui développe une culture de transparence et d’éthique, est une entreprise plus solide, plus attractive pour les talents, plus crédible auprès des partenaires économiques.
Ce tournant nécessite un engagement collectif. L’État, bien sûr, a un rôle fondamental à jouer. Mais les organisations professionnelles – telles que la CGEM, les fédérations sectorielles, ou les chambres de commerce – ont elles aussi un rôle moteur. Elles doivent faire des droits humains un axe structurant de leur accompagnement : par la formation, l’appui technique, la mutualisation des bonnes pratiques.
2030 : plus qu’un événement, une occasion historique
La Coupe du monde 2030 ne sera pas qu’une fête du football. Elle sera aussi une vitrine du modèle marocain. Et le monde ne regardera pas seulement nos stades ou nos hôtels, mais aussi nos entreprises, notre gestion du travail, et notre capacité à conjuguer croissance et dignité humaine.
Un tissu économique moderne ne peut plus reposer sur des logiques dépassées. Il doit s’appuyer sur un capital humain respecté, un environnement préservé, et une éthique des affaires assumée.
Les opportunités sont là. Le potentiel est réel. Ce qu’il faut maintenant, c’est consolider les acquis, diffuser les pratiques vertueuses, et faire émerger un modèle d’entreprise marocain qui soit à la fois performant, inclusif et respectueux des droits fondamentaux.
C’est à cette condition que 2030 sera un succès. Pas seulement pour le sport, mais pour toute une société.